Livres Uniks 2

Topographie de l’art

Claire Angelini, Cristina Barroso, Yves Carreau, Leila Danziger, Horst Haack, Gianpaolo Pagni, Etienne Rozsaffy, Hans Sieverding

Commissaire : Horst Haack

Catalogue d’exposition

Format 17 x 21 cm
64 pages en couleurs
Cahiers cousus
Broché avec rabats
isbn 978-2-36669-033-0
15€

Catalogue disponible à la galerie

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Livre unique et livre d’artiste ne sont ni jumeaux ni frères, ils sont un seul et même enfant de leur temps, et pourtant différents. L’un, nous l’appelons ainsi avant sa parution, l’autre, après sa parution. Dans le cadre de cette série d’expositions, le livre unique est un livre d’artiste avant sa reproduction et sa publication, c’est un objet unique original. Et donc un livre unique.

En général un livre est composé de feuillets cousus ensemble et reliés entre deux plats de couverture au format identique, protecteurs. Environ 250 ans après Jésus-Christ, en Égypte, d’ingénieux copistes et scribes découvrirent et développèrent cette forme d’archivage pour sau- vegarder des documents essentiels. Les avantages étaient évidents par rapport aux parchemins : les deux mains étaient libres pendant la lecture, et l’on pouvait, comme dans un jeu d’enfant, retrouver des passages du texte. Cette mutation a certes duré plusieurs siècles, cependant l’écriture a conservé jusqu’à présent, comme la roue, sa nécessité existentielle. Le contenu de ces livres consistait le plus souvent en d’austères inventaires, en contrats, chroniques, arbres généalogiques, textes administratifs et juridiques. Parmi les exceptions, les traités religieux et philosophiques (Livres des morts), les traductions d’œuvres de savants étrangers, de scienti- ques, de poètes.

La Bible. Le christianisme orissant, avec ses missionnaires, fonda des monastères et des scriptoria par milliers où furent produits au long des siècles des dizaines de milliers de copies
de la Bible. D’innombrables copies de textes relevant du domaine religieux ou séculier appa- rurent à travers toute l’Europe : livres de prières, recueils de chant, ouvrages de dévotion, traités d’herboristerie, manuels d’astrologie, atlas, bestiaires, livres d’anatomie, de lois, de calcul, traités d’escrime. Livres d’heures, livres de modèles de caractères, livres de proverbes… Jusqu’à l’invention de l’imprimerie, tous ces livres étaient écrits à la main, parfois calligraphiés, travail de longue haleine : des livres uniques, des manuscrits. Aucun n’est un « livre d’artiste » ; d’ailleurs le terme n’existait pas à l’époque.
« Un livre d’artiste, c’est quand un artiste l’a fabriqué ou quand un artiste dit que c’en est un. » Cette phrase lapidaire serait de Marcel Duchamp. Je me suis renseigné, j’ai cherché, sans mal- heureusement trouver la source, mais cette déclaration semble bien être de lui.
Ce type de livre, cette notion se sont répandus dans le monde de l’art au cours des années 1960. Les livres d’artiste, Artists’ Books, ont d’abord vu le jour en Amérique du Nord, puis en Europe où cette forme d’art existait déjà dans les années 1920 et 1930 ; sinon qu’elle ne portait pas encore ce nom. Je renvoie à quelques auteurs d’avant la seconde guerre mondiale : Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard (1914) ; Guillaume Apollinaire, Calligrammes (1918)
; Filippo Tommaso Marinetti, Les mots en liberté futuriste (1919) ; André Breton, Nadja (1928) ; Max Ernst, La Femme 100 têtes (1929) ; Hans Bellmer, La Poupée (1934). Tous ces livres ne sont pas restés des « livres uniques », par bonheur ils furent publiés, faute de quoi nous ne saurions absolument rien d’eux. « Remote Master ». Le précurseur solitaire, peut-être l’inventeur du livre d’artiste, fut le génial William Blake (1757-1827), à Londres. Pas si sûr. Car une chose est com- mune à tous les livres d’artiste, ils sont faits pour eux-mêmes, et non pour véhiculer des conte- nus. Ils se veulent objet, objet d’art, ils veulent être perçus comme une œuvre d’art en forme de livre. Ils ne servent pas à quelque chose, ils ont leur propre « raison d’être » par leur évidence même, ce qui n’exclue pas pour autant des suites de poèmes, des suites d’images, des situ- ations narratives. Ce qui distingue le livre d’artiste du livre traditionnel, c’est la typographie, le montage images/texte, la priorité donnée à la part visuelle, avec un usage abondant du blanc du papier. Certes Blake ignorait la notion de livre d’artiste. Mais, n’ayant pas trouvé d’éditeur pour ses livres prophétiques, il commença à les imprimer lui-même avec l’aide de sa femme Kate. Il colorait ses estampes et fabriquait, selon ce savoir-faire médiéval, des pièces uniques, des livres qui pouvaient différer d’une commande à l’autre.

Existant à part entière et inclus dans le monde de l’art, bien que rarement inclus dans le marché de l’art, les livres d’artiste le sont depuis la seconde guerre mondiale, donc depuis les années 1960. En voici quelques exemples : Henry Darger, Dans les royaumes de l’irréel (1911-1973) ; Robert Rauschenberg, La Divine Comédie (1959-1961) ; Ed Ruscha, Twentysix Gasoline Stations (1962) ; Tom Phillips, A Humument (1966-1973) ; Günter Brus, Irrwisch (1971) ; Horst Haack, Natalie (1968).

Ces nombreux livres uniques, tous, peut-être des milliers, jusqu’à présent non reproduits, non publiés, vont demeurer inconnus. Ils survivent en toute tranquillité sur les étagères à livres et dans les tiroirs de leurs inventeurs, et ils ne leur servent pas seulement de vade-mecum, de boîte à trésor, de chambre magique – ambulantes, maniables, faites de leurs mains –, mais de « plaisir des yeux », pour eux, encore et toujours.

Une vie sans livres serait une maladie mortelle.

Horst Haack 

 

 

 

 

 

 

Vue d’exposition

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